Les entreprises, à travers leurs directions des ressources humaines, ne peuvent plus utiliser la confidentialité des bulletins de paie pour dissimuler les inégalités salariales notamment entre hommes et femmes.
Cette barrière est tombée grâce à une décision de la Cour de cassation, qui a ordonné à une entreprise de fournir les bulletins de paie de ses employés masculins à une salariée sous astreinte, c’est-à-dire une pénalité financière de 10 euros par document et par jour de retard.
Ce jugement marque une avancée dans la lutte contre les écarts de rémunération. Malgré plus de 50 ans de législation sur l’égalité salariale, les femmes continuent par exemple de gagner en moyenne 9 % de moins que les hommes, à poste et compétences équivalents. Ce constat est d’autant plus flagrant dans les niveaux hiérarchiques élevés, où les primes, souvent opaques, accentuent encore cette inégalité.
Comparer simplement 2 fiches de paie pour établir une discrimination n’est pas suffisant pour prouver l’écart. Il est nécessaire d’examiner les rémunérations sur plusieurs années pour inclure les primes dans le calcul. Ces éléments, souvent oubliés dans les calculs, constituent pourtant une partie significative des différences salariales.
Dans un cas spécifique, une salariée, après avoir été licenciée pour inaptitude, a réclamé en justice les bulletins de paie de 8 de ses collègues masculins sur une période de 4 ans pour prouver l’inégalité salariale. Initialement déboutée, elle a finalement obtenu gain de cause en appel. L’entreprise concernée, Exane, une filiale de BNP Paribas, a alors saisi la Cour de cassation, invoquant la protection des données personnelles. Toutefois, la Cour a confirmé que ce droit n’est pas absolu et doit être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, comme celui de prouver une discrimination. La salariée a donc pu obtenir les documents, bien que certaines informations personnelles soient masquées, comme les noms et prénoms, mais pas les éléments relatifs à la classification, aux salaires bruts ou aux primes.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle décision est rendue, et il semble que les entreprises ne puissent pas contourner cette jurisprudence qui se renforce. Les données personnelles, bien que protégées, ne peuvent pas servir de prétexte pour dissimuler des discriminations.
Notons que l’entreprise a tenté de limiter la communication des documents en invoquant la prescription de 3 ans. Là encore, la Cour de cassation a estimé que cette prescription ne pouvait pas empêcher de dévoiler des preuves de discrimination. Par ailleurs, l’obtention d’une bonne note à l’index d’égalité professionnelle, que les entreprises de plus de 50 salariés doivent publier chaque année, n’est pas non plus une défense efficace contre une telle demande. Même si Exane avait obtenu un score de 86/100, les juges ont estimé qu’il restait une marge de progression vers l’égalité.
Cette affaire est révélatrice d’un changement important dans les pratiques de transparence salariale. Il est probable que de plus en plus de femmes, confrontées à des inégalités de rémunération, se tourneront vers leurs ressources humaines pour réclamer les documents nécessaires à la défense de leurs droits. Les entreprises, de leur côté, doivent désormais se préparer à répondre favorablement à ces demandes, sous peine de sanctions financières. Une situation qui expose encore davantage les pratiques discriminatoires que certaines sociétés tentent de dissimuler derrière des discours de façade.